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22 novembre 2012 4 22 /11 /novembre /2012 18:16
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 Certains livres sont des monuments. Ils représentent l'alpha et l'oméga de leur sujet, grâce à des auteurs passionnés, presque forcenés, qui dépouillent pendant des années des milliers de documents,  afin de présenter enfin l'image d'une époque aussi proche que possible de la réalité.

 

C'est le cas de "la Rive maudite". Le sujet en est la naissance de l'Etat d'Australie.

 

Dans la longue suite de crimes qui compose l'histoire des hommes, il en est un qui tient une place discrète, mais néanmoins honorable: la colonie  pénitentiaire de Botany Bay, plus connue sous le nom d'Australie.

 

Les Australiens, jusqu'à une date récente, n'étaient guère disposés à évoquer leur passé. Beaucoup n'étaient pas enthousiasmés à l'idée qu'un de leurs ancêtres était peut-être un de ces forçats qui constituèrent la première population blanche du continent (avec leurs gardiens et les administrateurs, bien sûr). Un livre comme celui-ci représente pour eux une mine de révélations, plus ou moins bien acceptées.

 

Les Anglais n'ont bien sûr pas inventé le bagne, mais ils ont fait preuve en la matière d'une imagination, d'une audace et d'une cruauté remarquables.

 

Commençons par le commencement. Le 28 avril 1770, le grand navigateur James Cook aborde la côte est de l'Australie, dans la région de l'actuelle Sydney et baptise la baie où il a jeté l'ancre "Botany Bay". Il prend possession de cette terre au nom du roi d'Angleterre, et, sans s'attarder davantage, repart pour de nouvelles aventures. Puis plus rien. Pendant 18 ans, plus personne, hormis les aborigènes, bien entendu.

 

A cette époque, en Angleterre, dans la misère londonienne et la pauvreté croissante des campagnes, le crime fleurit, puissamment aidé par un code pénal sans merci. Les autorités pénitentiaires ne savent plus que faire de cette population de délinquants. Les prisons sont surpeuplées. Et malgré tout, on pend moins. (Pour un vol de 40 shillings, la peine de mort s'applique.) Il arrive de plus en plus souvent que des juges indulgents, encouragés par le roi George III, sous-estiment la valeur des biens dérobés (39 shillings), sauvant ainsi le voleur du gibet. Mais qui dit moins de corde, dit plus de monde en prison...

 

Il existait toutefois une soupape de sécurité: les colonies d'Amérique où les condamnés en surplus pouvaient être expédiés pour travailler dans les  plantations, en quasi esclavage. Mais voilà que les colonies américaines se rebellent, chassent les Anglais et proclament leur indépendance, le 4 juillet 1776. Plus moyen pour Albion d'envoyer ses prisonniers outre-Atlantique. Les Américains remplacent avantageusement ces condamnés par des esclaves noirs. 47.000 de ces nouveaux esclaves sont "importés" chaque année - soit plus que le nombre de malfaiteurs venus d' Angleterre en un demi-siècle!

 

Complètement débordés, les Anglais choisissent de parquer leurs condamnés excédentaires sur de vieux rafiots pourrissants ancrés le long de la Tamise ou dans les ports du sud. Mais la situation est intenable, il faut d'urgence trouver une autre solution. Que faire?

 

Alors, une idée fait son chemin. Et si l'on envoyait ces rebuts de l'humanité, cette "classe criminelle" à l'autre bout du monde (on pourrait dire sur la lune), dans ce joli coin découvert par Cook en 1770, à Botany Bay? Oui, bonne idée! Oui, on ouvrira une colonie pénitentiaire en Australie! Incroyable, mais vrai, aucune expédition n'est envoyée sur place pour reconnaître le terrain et préparer l'arrivée de ces nouveaux habitants, les "convicts" et leurs gardiens. Pas le temps.

 

En 1786, le roi George nomme un officier de marine, le Capitaine Phillips "gouverneur de notre territoire appelé Nouvelle Galles du Sud". Dans le désordre et la précipitaion, la "First Fleet" se prépare. Phillips se bat pour obtenir les fournitures et les  moyens indispensables à la survie de ses passagers. 11 vaisseaux partiront pour les Antipodes, chargés de 736 convicts,  hommes, femmes, enfants. Des voleurs, des cambrioleurs, des faussaires... Pas de prisonniers politiques, ni de grands criminels. Une des convicts les plus âgées (70 ans) était condamnée à 7 ans de déportation pour avoir volé 12 livres de fromage. Le plus jeune était un petit ramoneur de 9 ans, coupable d'avoir dérobé quelques habits et un pistolet.

 

Personne n'avait songé à choisir ces déportés en fonction de leurs aptitudes à fonder une colonie sur une terre inconnue. Un seul pêcheur, un seul jardinier (de 20 ans).

 

Phillips finit par lever l'ancre le 13 mai 1787 et les neuf navires font voile vers Tenerife.

 

Le 19 janvier 1788, les bateaux atteignent  Botany Bay après 252 jours de voyage.  Aucun bâtiment de perdu. 48 morts. Des pertes très légères, compte tenu de l'époque et des conditions de voyage... (Les 2e et 3e flottes seront autrement meurtrières.)

 

C'est ainsi que l'histoire de l'Australie moderne commence.

 

Si vous choisissez de vous attaquer à cette oeuvre monumentale - comme Bruce vous y engage - vous saurez tout de nos "voisins du dessous".

 

 La famine, les maladies, la violence et le désespoir des premières années. La guerilla entre les nouveaux venus et les aborigènes. Sur la Terre de van Diemen, l'actuelle Tasmanie, pas un indigène ne survivra à l'extermination systématique organisée par les colons.

 

 Les bagnes dans le bagne pour les récalcitrants, dont  beaucoup de rebelles irlandais: l'ìle lointaine de Norfolk, entre autres lieux maudits, où sévissent impunément des gouverneurs sadiques. Les chaînes, les flagellations à grande échelle avec le fameux cat-o'nine-tails - le chat à neuf queues - qui arrache la chair des torturés. Un prisonnier nommé Joseph Mansbury "survivra" à 2000 coups de fouet administrés en 3 ans. Certains commettent un crime puni de mort dans l'espoir d'être ramenés à Sydney pour y être jugés et pendus.

 

Les coups de fouet sont minutieusement comptabilisés: en Nouvelle Galles du Sud , pour l'année 1837, on compte 2.985 flagellations - nombre exact de coups, 124.333.

 

Puis, peu à peu, la colonie pénitentiaire s'organise, sort de son extrême misère, si bien que des colons libres affluent, bénéficiant d'une main d'oeuvre, les convicts, à la limite de l'esclavage. Beaucoup de convicts libérés restent en Australie , n'ayant rien à espérer d'un retour vers la mère patrie. Une nation commence à naître.

 

Robert Hughes vous racontera avec passion cette terrible épopée en plus de 600 pages, imprimées en tout petits caractères, sans jamais vous lasser, dans une langue magnifique, pleine d'ironie, de lyrisme et de compassion.

 

Il existe de cet ouvrage une traduction française partielle, "La rive maudite", parue chez Flammarion. Un travail d'amateur. Les indispensables cartes ont disparu, de même que l'index et la bibilographie. Assez navrant, mais c'est mieux que rien.

 

Environ 160.000 convicts furent déportés en Australie entre 1788 et 1868.

 

A noter, à titre de comparaison, que le bagne français de Guyane sera institué en 1852 et sera supprimé en 1945.

 

 

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