Comment, de l'abomination du bagne communiste un tel chef-d'oeuvre a-t-il pu naître?
Peut-être parce que Varlam Chalamov compte parmi les plus grands écrivains et les plus grands poètes.
Kolyma. Qui connaît ce nom? Peu de gens , je crois. Et pourtant nous devrions connaître ce nom comme nous connaissons celui d'Auschwitz. Pourquoi les crimes des nazis ont-ils été jugés à Nuremberg,pourquoi des chefs d'Etat se sont-ils agenouillés pour demander pardon aux victimes de la "solution finale", alors que les crimes de l'Etat Soviétique restent impunis, niés, enfouis, ignorés!
Il n'y avait pas de route pour atteindre les Monts de la Kolyma, à l'extrême nord-est de la Sibérie, là où la température descend jusqu'à moins soixante dregrés en hiver.
D'abord vous étiez arrêté, interrogé, torturé, comdamné. Le bagne. Cinq ans, dix ans, vingt ans... Puis le train, les trains, jusqu'à Vladivostok, aux confins de l'Empire. Là, vous embarquiez sur des navires spéciaux qui naviguaient vers le grand nord, sur la mer d'Okhotsk. Port de Magadane. Après, encore, pour les survivants, la longue marche vers les mines, la pioche, le froid, la faim, les coups, les balles des sentinelles, la mort.
Pour savoir ce qui se passait à Kolyma, lisez les récits de Chalamov. Chacun raconte l'histoire d'un homme: un gardien, un administrateur, un zek, un truand. Chacun, bourreau ou martyr est devant vous dans sa vérité. Il vit et meurt sous vos yeux. Chacun de ces hommes vous hantera pour toujours. Chaque phrase de ce livre pèse un poids écrasant de douleur.
22 ans de camp et Chalamov a gardé son âme - non pas son humanité- ce mot ne veut rien dire, les bourreaux étaient aussi des hommes -son âme.
Au plus profond de la souffrance, alors que sa pensée lui semble morte, Chalamov a pitié d'un oiseau, il s'afflige de l'abattage impitoyable des arbres si précieux dans ce désert glacé. Il témoigne du geste qui évite (peut-être) la mort à un camarade. Il nomme la secrétaire qui "oublie" la lettre T (trotskiste) symbole de mort sur un document officiel, donnant à un prisonnier une chance de vivre. (Peut-être)
Chalamov a été le témoin de ces horreurs. Il a écrit ce chef- d'oeuvre en s'oubliant lui-même, sans s'apitoyer, sans un appel à la vengeance, avec une ironie terrible.. Est-ce cela être un saint?
Il n'est pas trop tard pour verser des larmes sur les martyrs du goulag. Il n'est pas trop tard pour dénoncer le silence qui environne ces crimes qui ont commencé avec l'Etat soviétique, qui sont CONSUBSTANTIELS à L'Etat soviétique, cette monstrueuse administration de la mort, et non pas seulement, comme le prétendent les négationnistes communistes de tous les pays, le résultat de la folie de Staline.
Et le goulag chinois, combien de morts ? Les Khmers rouges, combien de morts?
On parle du "devoir de mémoire " pour les millions de victimes des nazis. Quand donc les millions de morts assassinés par les communistes auront-ils droit au souvenir?
Chalamov est leur mémoire, leur voix, qu'on n'entend pas ou si peu.
Son esprit n'a jamais sombré. Son oeuvre est unique.
Quelle oeuvre est aussi terrible et aussi admirable que celle de Varlam Chalamov, le poète de génie?